WOMEN’S FORUM STREET ART PROJECT

QUEL STATUT, QUELLE EXPERIENCE POUR UNE FEMME QUI CHOISIT L’ESPACE URBAIN COMME SUPPORT D’EXPRESSION?

« Invitée a participer au Women’s Forum Street Art Project, le Huffington Post m’a proposé une tribune pour m’exprimer sur la place de la femme dans le Street Art. J’ai longtemps pensé que ce sujet ne me concernait pas car mon genre n’était pas ce qui me définissait comme artiste. Mais après de nombreux échanges avec Karen Brunel-Lafargue, nous avons toutes deux fait évoluer notre point de vue. » YZ

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Oeuvre réalisée dans le cadre du projet « Women’s Forum Street Art Project », Marguerite Duras, Encre de Chine sur papier de soie marouflé sur toile

Tribune pour le Huffington Post, en collaboration avec Karen Brunel-LafargueChercheuse rattachée à l’institut ACTE de l’Université Paris 1. Auteur de L’Art se rue (2011) et L’Art se rue 2 (2013), parus chez h’Artpon éditions.

Quel vaste thème que celui de la femme dans le street art. Quel statut, quelle expérience pour une femme qui choisit l’espace urbain comme support d’expression ? Comment répondre à cette question récurrente qui est investie tantôt de curiosité, d’inquiétude, de sympathie ou de naïveté ? À deux, en alliant le point de vue d’une artiste, YZ, et celui d’une chercheuse, Karen Brunel-Lafargue. Ce, dans l’espoir de proposer une réflexion hybride construite au fil d’échanges et nourrie de nos connaissances propres sur le sujet.

Si la femme est un être mystérieux, la femme artiste en est une mouture fantaisiste et la femme artiste urbain(e), une créature quasi mythologique. Cette dernière serait une sorte de guerrière des villes qui fait fi des périls qu’elles recèlent ainsi que de l’ordre établit pour se comporter… comme un homme, certes un peu marginal. Malgré des discours contemporains empreints des questions de genre et promoteurs d’égalité, les croyances sur les libertés et les vocations de chaque sexe tardent à converger. Aujourd’hui, en cette deuxième décennie du 21e siècle, notre société peine encore à rationaliser le fait qu’une femme puisse s’approprier, parfois sous couvert de l’obscurité nocturne, l’espace public : l’extérieur.

Depuis les années quatre-vingt, et l’avènement des travaux dans le domaine de la géographie féministe, la domination masculine de l’espace urbain est passée d’une intuition à une réalité démontrée. Dans un article paru en aout 2014, Le Mondedécrivait la rue comme le « fief des mâles », citant expertes et experts pour appuyer leur analyse. Même lorsqu’elles constituent la majorité de sa population, les femmes continuent à appréhender la ville, leur ville, comme un lieu comportant des interdits et des dangers, autant de rappels à l’ordre sexués.

Certaines féministes vont jusqu’à qualifier l’environnement man-made de matérialisation de la société patriarcale. D’autres contesteront une vision excessive, mais elle est néanmoins ancrée dans une réalité : la ville a été conçue et construite par des hommes pour des hommes. Ils continuent à exercer un rôle décisionnaire majoritaire la concernant. Nombreux sont les équipements, les aménagements et les politiques pensés au masculin : stades, skate parcs, etc.

L’histoire et la culture du graffiti, qui nourrissent la représentation du street art dans l’imaginaire collectif, nous donne à voir une pratique plutôt masculine. Celle où les protagonistes sont des jeunes, armés de bombes aérosol, qui se faufilent dans les méandres du dédale urbain pour en signer les murs, le mobilier. Ce périlleux tableau qui s’affranchit des lois et de la morale peut difficilement accueillir l’image que la société édifie de la femme. Toutefois, le milieu professionnel de l’art urbain n’a rien de misogyne, et les femmes qui le peuplent habitent leur féminité propre sans entrave. Une passion commune transcende les considérations de genre.

Forte de ces constats, et des limites qu’ils semblent imposer sur le comportement des femmes, notre attention se porte sur la liberté octroyée de celles qui refusent les confins de la société et réfutent une fragilité implicite. Elles ne se revendiquent pas guerrières ou militantes, mais simplement libres. Nous pensons à celles qui ne se limitent pas à être le miroir d’une condition féminine pensée par autrui, imposée par exemple et par éducation.

Une carrière artistique née d’une sensibilité, et le fait de porter sa pratique dans la rue tient du lien entretenu avec cette dernière. Le tout est certainement influencé, mais non pas déterminé, par le genre. L’essence de l’art urbain s’exprime dans une volonté – individuelle et parfois collective – de s’approprier son environnement. Celui qui pose sa trace sur un mur, tout autant que sur une toile ou sur quelque autre support, l’investit des valeurs qui sont les siennes, celles qui constituent son individualité, sa subjectivité.

La femme, comme n’importe quel être humain, peut aspirer à être considérée comme un sujet libre, pensant et dégagé du poids de modèles désuets. C’est grâce à des initiatives telles que celle du Women’s Forum for the Economy and Society, que la condition féminine avancera, et que de nouveaux modèles verront le jour et seront valorisés. En donnant à voir des propositions artistiques qui émanent de femmes issues et agissantes aux quatre coins du monde, le Women’s Forum Street Art Project(WFSAP) rend lisible des actrices et des contributions qui peuvent inspirer d’autres à rompre avec des stéréotypes datés.

She’s a leader, le thème des interventions urbaines, nous rappelle l’importance de proposer aux filles des figures féminines libres. La force de l’exemple est un terreau fertile, propice au déploiement de racines solides pour les femmes en construction. Les sources d’inspiration peuvent se trouver chez les grandes dames de l’Histoire, dans la créativité et la défiance des écrits de Marguerite Duras, mais aussi plus proche de nous, dans le souvenir d’une mère céramiste fluette qui tournait avec souplesse ses jarres de quarante kilos.

© Karen Brunel-Lafargue & YZ

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Janet Stedman, Céramiste



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